Le titre de ce billet est celui que j’ai donné provisoirement au Livre 2 des Anachroniques à mi-chemin de son écriture. Il sonne un peu bizarre, m’a-t-on déjà dit, donc je le livre en pâture aux passant(e)s de ce blog en espérant leurs avis éclairés, et je m’en vais tâcher de le défendre ici un peu à l’avance.
Tous les pays qui n’ont plus de légende
Seront condamnés à mourir de froid
Ces deux vers placés en exergue du Livre 1 me poursuivent depuis plus d’un demi-siècle. Patrice de La Tour du Pin est un auteur sans aucun doute totalement démodé et largement méconnu. Je ne partage ni son ascendance aristocratique ni ses convictions religieuses, mais sa poésie reste imprimée profondément dans ma mémoire. Je l’ai découverte sur les bancs d’une école qui était encore primaire avant de devenir élémentaire, grâce à un instituteur qu’on appelait encore maître d’école (et qui était accessoirement mon père, situation inconfortable commune dans les villages où l’on n’a pas trop le choix). Le premier poème dont je me souvienne est intitulé tout simplement Légende. Avec les Enfants de septembre ses mots évoquent toujours en moi ces mêmes marais recouverts de brume basse hantés aussi par les amours du Grand Meaulnes.
Outre l’anecdote autobiographique, il me semble que ces vers, écrits vers 1930 par un jeune homme de 19 ans, trouvent aujourd’hui une résonance toute particulière. Associer la mort des légendes à une apocalypse climatique, voilà bien une métaphore prophétique pour notre siècle, même si les augures nous promettent plutôt la mort par excès de chaleur.
Mais sont-elles mortes vraiment, ou mourantes, les légendes, dans la littérature d’aujourd’hui? D’aucuns diront qu’elles sont encore là et bien vivantes sous d’autres noms comme littérature de l’imaginaire, fantasy, terreur, science-fiction et autres genres parfois regroupés sous l’horrible sigle SFF. Et même si j’ai écrit ici il y a peu tout le mal que je pensais de la prolifération des catégories, au grand supermarché du livre que je boude toujours avec obstination j’ai cherché vainement le rayon « Contes et Légendes » dans le département « Littérature ». En cherchant ces termes, on trouvera moult compilations de contes pour enfants et de folklore régionaliste, une offre gentillette qui sent bon le feu de cheminée d’antan, mais qui manque de la dose nécessaire de fracas des armes, de sang, de sexe et de vice pour être vendable par millions au bon peuple. Alors les légendes d’aujourd’hui, avec ce savant dosage de merveilleux et de philosophie qui tisse l’auditoire avec une histoire sans âge, où sont-elles?
Fin de la séquence nostalgie. Les héros des Anachroniques sont désormais confrontés eux aussi à la mort annoncée de leur légende, qui a été bien mise à mal dans le Livre 1. Parviendront-ils à en retisser les fils? Sont-ils eux aussi condamnés à mourir de froid dans un monde devenu de plus en plus étrange et dont les dieux semblent ne plus s’intéresser au destin des hommes? Ou bien choisiront-ils de vivre tant bien que mal en pays d’outre-légende? Voilà les grandes questions du Livre 2.
À suivre …